La Constitution de 2011 et les standards démocratiques
La Constitution de 2011 et les standards démocratiques
Introduction:
Existe-t-il des standards démocratiques dont la référence par les normes
et pratiques constitutionnelles est indispensable à l'accréditation de celles-ci?
La question n'est pas sans soulever une controverse entre un a priori
"négatif" et une logique qui prône l'existence de standards démocratiques
En effet, la thèse négative argue de trois raisons distinctes quand bien
même proches.
La première est que toute constitution, tout droit constitutionnel est par
définition national.
La deuxième est que conformément au droit international et spécialement, l'article 1er du pacte des droits civils et politiques de 1966
"tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes".
La troisième est que "l'autonomie constitutionnelle" relève
indiscutablement et, à titre essentiel de la compétence nationale telle
que visée par le § 7 de l'article 2 de la charte des Nations Unies.
Est-il au final admissible, les Etats étant fondamentalement souverains ou
censés l'être, de traiter les droits constitutionnels nationaux, spécifiques, à la
lumière de standards par rapport auxquels ils devraient être situés en termes
de convergence, d'harmonie ou même de conformité?
Quid maintenant des "standards" appliqués à la "démocratie".
Le standard est tout à la fois" un modèle, un comportement, un étalon,
une norme de référence, une situation qui atteste d'une condition de
normalité, d'ordinalité qui est de l'ordre des êtres et des choses".
La démocratie est une et plurielle, abstraite et universelle mais reste
soumise aux défis du temps et de l'espace sociétal changeant. Aujourd'hui, la
planète vit à l'heure de la mondialisation et la démocratie à l'heure du temps
mondial.
Parler de "standards démocratiques" ou de "standardisation de la
démocratie" signifie, unifier, normaliser par consensus, les principes, valeurs et
institutions démocratiques par delà la diversité des espaces sociaux, politiques,
économiques et culturels.
En effet, l'évolution du milieu international a, par accumulation
accélération de l'histoire, permis une uniformisation du droit constitutionnel et
une extension des valeurs démocratiques à la plus part des systèmes
politiques. L'internationalisation du droit constitutionnel s'est avérée le résultat
de l'adhésion des Etats à un modèle constitutionnel de plus en plus uniformisé,
par un jeu d'influence passant par divers canaux universels ou régionaux,
linguistiques ou juridiques, académiques ou judiciaires, informels ou
institutionnels. Ce changement a entrainé dans son mouvement la démocratie
comme valeur rétablie dans son universalité.
La liberté politique, l'Etat de droit et la démocratie sont devenus les piliers
incontournables de l'idéologie mondiale. La démocratie dans son ensemble et
dans ses ramifications fait partie du système mondial de pensée.
La "standardisation démocratique" s'apparenterait ainsi à une
réappropriation par "l'idéologie mondiale" des canons du droit constitutionnel
libéral. Aujourd'hui nul Etat n'oserait contester ou déclarer publiquement son
hostilité à la démocratie. Qui plus est, c'est au nom des 'standards
démocratiques" que les autoritarismes sont dénoncés et que les processus
transitionnels sont évalués.
"Fidèle à son choix irréversible de construire un Etat de droit
démocratique, le Royaume du Maroc poursuit résolument le processus de
consolidation et de renforcement des institutions d'un Etat moderne, ayant
pour fondements les principes de participation, de pluralisme et de bonne
gouvernance. Il développe une société solidaire où tous jouissent de la sécurité,
de la liberté, de l'égalité des chances, du respect de leur dignité et de la justice
sociale, dans le cadre du principe de corrélation entre les droits et les devoirs
de la citoyenneté".
Par cet engagement préambulaire, la constitution de 2011 inaugure une
phase manifeste de "réappropriation" des standards démocratiques qu'il
s'agisse de la construction démocratique et libérale (I) ou du parachèvement de
l'Etat de droit (II).
Première partie: Constitution et construction démocratique de l'Etat
Le processus de réforme globale tel que initié par le discours royal du 9
mars 2011 a permis au constitutionnalisme renouvelé de devenir un élément
important de la vie politique. Ce rôle qui ne manque pas de portée traduit un
choix irréversible. En effet les conditions politiques faites de pluralisme
politique, et de concurrence électorale, dans lesquelles se déroule le jeu
politique donnent aux mécanismes et aux règles de dévolution, d'exercice, de
contrôle et d'abandon du pouvoir, la possibilité d'être effectivement mis en œuvre. La constitution ratifiée par le referendum du 1er juillet 2011 qui est en
même temps, le renouvellement du pacte historique entre le trône et le
peuple, ouvre des perspectives réelles à la refondation de l'ordre démocratique (A) et à la rationalisation des pouvoirs (B).
A- La refondation de l'ordre démocratique
La constitution de 2011 n'a pas construit sur une "terra nullius" juridique,
puisque le contenu antérieur du texte de 1996 n'a pas disparu. Cependant, les
profondes transformations apportées par la révision constitutionnelle de 2011
ouvrent la voie à la "légitimité démocratique" née de l'intégration ou
l'incorporation de divers standards démocratiques reconduits ou refondés qu'il
s'agisse de la nation souveraine, de la liberté, du pluralisme, de l'élection et la
représentation:
a- La nation souveraine
Ce principe est placé au premier plan par la constitution qui renvoie
différemment à la "Nation" comme valeur "identitaire", et à la souveraineté
nationale.
Alors que le préambule évoque l'attachement à "l'unité nationale" et son corolaire "l'intégrité territoriale", l'article 1er se réfère à la "Nation" fédérative
de la religion musulmane, l'unité nationale et du régime monarchique
constitutionnel et démocratique. L'affirmation de la Nation s'accommode
harmonieusement de "la régionalisation avancée" reconnue et organisée, ce
qui satisfait aux exigences de l'approfondissement de la démocratie en
rapprochant les citoyens des centres de décision. Le principe de la souveraineté
nationale est affirmé par l'article 2 qui reprend l'article 3 français, (encore que
celui-ci se réfère au peuple, qui en est le propriétaire et qui l'exerce
directement ou indirectement). Avec la version marocaine "la souveraineté
appartient à la Nation qui l'exerce directement par voie de referendum, et
indirectement, par l'intermédiaire de ses représentants".
b- Le pluralisme politique
Le pluralisme politique postule la reconnaissance de tendances diverses de
l'opinion organisée et leur libre concurrence. Rompant avec la confusion
longtemps entretenue avec le pluripartisme, de l'ancien article 3, la
constitution de 2011, tant au niveau de son préambule quelle intègre, que des
articles 7 (relatif aux partis politiques) 8 (portant sur les syndicats) 10 (affèrent
au statut de l'opposition) sans préjudice des dispositions qui concernent la
démocratie citoyenne et participative, article 12 (sur les associations de la
société civile) 14 (les motions citoyennes en matière législative) 15 (le droit de
pétitions). Le pluralisme politique diffus dans la constitution, réalise son
expression la plus dynamique à travers le nouveau statut des partis politiques
en l'occurrence (article 7).
c- L'élection et la représentation
Il est établi que le processus électoral est particulièrement révélateur des
rapports de pouvoir à des différentes échelles, des coalitions d'intérêts, des
ressorts de la représentation, des mécanismes de mobilisation matériels ou
symboliques qui animent l'arène politique.
Les conditions dans lesquelles se passent les élections, la façon dont elles
sont perçues et organisées, refusées ou acceptées, sont révélatrices du degré
d'ancrage des valeurs et de l'idée démocratiques dans une société et chez ses
élites politiques.
La préoccupation démocratique par le renforcement des processus
électoraux illustre tout l'intérêt qu'accorde l'ordre international aux diverses
transitions politiques, postcommunistes, africaines et arabes. Pour être en
phase avec les exigences de l'ordre démocratique international et pour évacuer
de la conscience collective les pratiques dissidentes en la matière, le
constituant marocain de 2011 engage les pouvoirs publics, et tous les autres
7
acteurs, conformément aux normes internationalement reconnues, à organiser
"des élections libres, sincères et transparentes" qui constituent "le fondement
de la légitimité, de la représentation démocratique". Neutralité, non
discrimination, liberté, équité, probité et punité sont mis en exergue par
l'article 11.
B- La rationalisation des pouvoirs
L'enjeu majeur de l'ordre constitutionnel est la rationalisation du pouvoir
qui consiste à le soumettre à des règles précises et plus particulièrement
mettre au point des mécanismes de représentation politique, établir auprès
des gouvernants des censeurs qualifiés pour dialoguer avec ceux-là. Ce schéma
est déduit du principe de la séparation des pouvoirs, pierre angulaire de tout
Etat démocratique et libéral avec ses exigences de liberté et de rationalisation
du pouvoir.
En affirmant "le régime constitutionnel du Royaume est fondé sur la
séparation, l'équilibre et la collaboration des pouvoirs (…)" et que l'organisation
territoriale décentralisée est "fondée sur une régionalisation avancée" la
constitution de 2011 intègre le principe de la séparation des pouvoirs qu'elle
organise verticalement selon le mode parlementaire rénové et
horizontalement à travers une décentralisation élargie.
1- Le parlementarisme rénové
La constitution aménage subtilement la centralité monarchique (chef
d'Etat, commandeur des croyants, arbitre, garant) tout en affirmant le rôle, la
fonction et la responsabilité des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.
Le constituant marocain ouvre la voie à une "réinvention du parlement":
extension du domaine de la loi (a 671), prééminence de la chambre des
représentants (article 61), la limitation du cumul des mandats (article 62).
Un rééquilibrage judicieux est opéré à la faveur du parlement pleinement
et exclusivement législateur, contrôleur et évaluateur des politiques publiques
(article 70), face à un gouvernement qui en émane (article 47 et 88), à pouvoir
exécutif effectif (article 89-93) tous deux protagonistes d'un jeu parlementaire
d'affrontement d'une majorité "coalisée" et d'une opposition statutairement
renforcée, érigée en "contre-pouvoir" au gouvernement et à sa majorité
(article 10 et 60). L'enjeu majeur est bien d'évoluer dans la stabilité
institutionnelle et l'efficacité politique vers un mode de gouvernement ouvert
sur la négociation, le compromis, tout en assumant les risques liés au recours
par les pouvoirs aux moyens mutuels d'empêchement (vote de défiance (article
103), notion de censure (article 105) dissolutions (royale article 96, par le chef
du gouvernement article 104)
2- La régionalisation avancée
Dès son article 1er, la constitution affirme que "l'organisation du royaume
est décentralisée" dans un Etat unitaire. Elle est fondée sur une
"régionalisation avancée". Tandis que le titre IX consacre 11 articles aux régions
et autres collectivités territoriales. C'est dire la place et l'importance de
l'organisation territoriale dans le nouvel Etat marocain. La constitution
s'attache à instaurer une institution rénovée pour mettre en exergue les rôles
politique et économique que devrait jouer à l'avenir la région. Cependant,
processus dynamique et évolutif, la construction régionale se caractérise par
autant de dilemmes à surmonter que de compromis à réaliser. Au demeurant,
la problématique régionale participe de l'approfondissement de la démocratie
en rapprochant les citoyens "territoriaux" des centres de décisions. En y
adhérant le Maroc satisfait constitutionnellement à une exigence essentielle de
l'ordre démocratique moderne, indissociable par ailleurs de l'état de droit qui
le détermine.
Deuxième partie: Constitution et parachèvement de l'Etat de droit
L'idée centrale de l'Etat de droit c'est le lien de l'Etat à la norme
démocratiquement élaborée en vue de prévenir toute forme d'arbitraire et de
préserver le citoyen. L'Etat de droit suppose une certaine organisation du
pouvoir et un certain mode de gouvernement caractérisé par le respect des
droits et libertés sur lesquels veillent des mécanismes efficaces. Aussi la notion
Etat de droit a un contenu qui s'inscrit dans la perspective de la démocratie et
des droits de l'homme. L'Etat de droit a tendance à constituer une référence de
plus en plus incontournable au point qui de nombreux textes de droit
international lui sont consacrés, le but étant d'amener les Etats à en assurer les
implications et les exigences soit, la protection des valeurs citoyennes (A) et la
consécration de la démocratie des droits par le magistère du droit et du juge
(B) c'est à cette double fin que la constitution de 2011 s'attelle en proclamant
dès son préambule qu'elle intègre, son "choix irréversible de construire un Etat de droit démocratique".
A- La protection des valeurs citoyennes
Dans son sens moderne "la citoyenneté" est la manifestation de
"l'autonomisation" de la personne humaine, de l'individu comme unité
indépendante de la collectivité. Cette autonomie individuelle servira de base à
des droits naturels tels la dignité, l'égalité et la liberté qui fondent le statut de
citoyen et l'habilitent à "être et agir" démocratiquement.
1- La dignité
Le principe de la dignité est expressément affirmé par la constitution de
2011 tant au niveau de son préambule que de la constitution elle-même. Son
affirmation implicite apparait à travers l'attachement aux "droits de l'homme
tels qu'ils sont universellement reconnus". Le principe est sinon enchâssé dans
des dispositions récriminant la torture, les traitements inhumains, dégradants
(article 22) la détention arbitraire ou secrète et la disposition forcée ou en
organisant pour toute personne détenue des conditions de détention humaines
(article 23).
2- L'égalité
L'émergence de l'égalité, dans le cadre international et interne, reste
indissociable de la consécration de la liberté, constitutions et textes
fondamentaux internationaux font écho aussi à une tradition juridique tout
aussi féconde qui s'attache moins aux grands principes qu'aux garanties
effectives. C'est la tradition anglaise de (l'habeas corpus" ou de la "rule of law".
Plutôt que d'invoquer une égalité abstraite, on veillera à lutter contre les
discriminations à travers de longues énumérations pour ne pas oublier "une
catégorie vulnérable". Le principe d'égalité doublé du principe de non
discrimination s'explique aussi parce qu'ils sont à la base de tous les systèmes
politiques modernes fondés sur le suffrage universel et l'égalité des citoyens.
La constitution de 2011 transcrit ces principes fondateurs de l'ordre
démocratique et libéral selon des formules autant solennelles qu'effectives.
Si l'article 19 affirme "l'égalité de l'homme et de la femme en droits et
libertés civil, économique, social, culturel et environnemental", énoncés dans le
titre II et dans les autres dispositions de la constitution, ainsi que dans les
conventions et pactes internationaux dûment ratifiés par le Maroc, l'Etat
ouvrant ) la "réalisation de la parité entre les hommes et les femmes", à cette
fin est créée "une autorité pour la parité et la lutte contre toutes formes de
discrimination".
Par ailleurs, l'article 6 rappelle que "tous, personnes physiques ou morales,
y compris les pouvoirs publics, sont égaux devant la loi et tenus de s'y
soumettre", tandis que avec l'article 35 "l'Etat veille à garantir l'égalité des
chances pour tous et une protection spécifique pour les catégories sociales
défavorisées".
3- La liberté
Le principe de la liberté est très présent dans la constitution de 2011 qui
lui a consacré, sans préjudice d'autres dispositions, le titre II qui regroupe 29
articles. Les libertés et droit fondamentaux se répartissent selon le découpage
par générations de droits reconnus.
"La liberté de pensée, d'opinion, et d'expression sous toutes ses formes"
sont couplées aux garanties relatives "aux libertés de création, de publication
et d'exposition, en matière littéraire et artistique et de recherche scientifique
et technique" (article 25) au développement desquelles les pouvoirs publics
apportent appui et moyens appropriés (article 26). La liberté politique qui
postule, le droit à l'information (article 27), la liberté de la presse (article 28) les
libertés de réunion, de rassemblement, de manifestation pacifique,
d'association et d'appartenance syndicale et politique (article 29), est
solennellement affirmée et garantie.
Parmi les libertés traditionnelles les plus largement développées, la sureté
(article 21) préfigure avec un luxe de détails. Ainsi sont précisés, autre les
principes de la présomption d'innocence (article 23) et de la non-rétroactivité
de la loi (article 6), les conditions d'arrestation la garde à vue, le droit à
l'assistance d'un avocat, de droit de communiquer avec ses proches (article 23).
Innovation majeure, les droits des justiciables dans le fonctionnement de la
justice (article 117 à 128).
Le droit de propriété fait également l'objet d'une ferme protection que la
possibilité d'expropriation ne doit pas menacer, cette dernière étant
accompagnée d'un droit à une juste et préalable indemnisation. La liberté
d'entreprendre et la libre concurrence sont garanties par l'Etat qui œuvre à
réaliser un développement durable en vue de la consolidation de la justice
sociale et la préservation des ressources naturelles nationales et des droits des
générations futures (article 35). En parallèle sont érigés en infractions
sanctionnées, par la loi, les conflits d'intérêts, les délits d'initié, les délits liés à
l'activité économique des administrations publiques, le trafic d'influence et
privilège, l'abus de position dominante et monopole, la corruption (article 36).
La protection de la vie privée, conjointe à cette du domicile et du secret
des communications sont formulés en termes d'autant plus précis que par le
passé ces droits étaient peu respectés. La liberté de circulation et
d'établissement sur le territoire national est garantie, d'autant plus qu'elle
implique la libre sortie et le libre retour (article 24).
Au Maroc, où la religion se confond à l'Etat, la liberté de conscience est
préservée par une formule qui en consacre l'inviolabilité et reconnait la liberté
du culte. Ainsi de l'article 3 qui dispose: "l'Islam est la religion de l'Etat, qui
garantit à tous le libre exercice des cultes". Les droits de la deuxième
génération ou droits-créances sont évoqués, avec néanmoins le double souci
de la constitution d'une part de ne rien oublier, et d'autre part de ne pas
prendre d'engagements trop irréalistes. Il est vrai que ce dernier scrupule n'est
habituellement respecté que de façon assez partielle par rapport aux
prestations qui peuvent être raisonnablement attendue, de pays en
développement.
Ainsi c-est-il du droit au travail et à la sécurité sociale, du droit de grève
(article 29), à l'éducation, aux soins de santé, à la couverture médicale, à un
logement décent, à l'accès aux fonctions publiques selon le mérité (article 31).
En dernier lieu, parmi les libertés les plus récemment affirmées, le droit à
l'eau et à un environnement sain, et au développement durable (article 31). Ce
nouvel intérêt témoigne certes d'une volonté de mettre des textes en phase
avec cette nouvelle exigence de la démocratie moderne ouverte sur les valeurs,
tel le droit à la vie (article 20) à défaut de l'abolition de la peine de mort, le
droit de fonder une famille (article 32) l'intégration de la jeunesse dans le
développement économique, social, culturel et politique du pays (article 33) la
protection des personnes et des catégories à besoins spécifiques, soit les
individus vulnérables (femmes, enfants, vieux) et les handicapés (article 34).
L'enthousiasme sociétal pour la consécration de nouveaux "droits"
catégoriels sans cesses plus nombreux ainsi que la concurrence des "victimes
ou vulnérables encouragée par la militance associative et la compassion
médiatique conduisent également à un succès grandissant des procédures
juridictionnelles. Le prétoire tend à prendre le pas sur l'isoloir et l'aristocratie
judiciaire à se substituer aussi à la démocratie politique. C'est l'avènement de
la "démocratie des droits" ou "démocratie juridique" ou même "démocratie
contentieuse".
B- La démocratie des droits
C'est tout autant à l'aune de l'extension de la citoyenneté démocratique et
participative, de la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire que
se distinguent, s'évaluent et se hiérarchisent les systèmes politiques. Le Maroc,
à s'en tenir à sa récente constitution, n'est pas en marge des évolutions néo
constitutionnalistes qui consacrent à travers l'indépendance du pouvoir
judiciaire et l'efficacité du contrôle de constitutionnalité, le magistère du droit
et du juge.
I- L'indépendance de la justice
La constitution de 2011 réserve une place de choix à la justice (22 articles)
qu'elle élève au rang d'un véritable pouvoir indépendant des autres pouvoirs,
indépendance dont le Roi est garant (article 107).
La constitution énonce des mesures importantes visant à protéger
l'indépendance du juge et à moraliser sa fonction.
La loi sanctionne ainsi, toute immixtion dans les affaires de la justice mise
à l'abri de toute pression ou injonction, le juge qui en est menacé doit saisir le
conseil supérieur du pouvoir judiciaire. Inversement tout manquement par le
juge à ses devoirs d'indépendance et d'impartialité est une faute
professionnelle grave sanctionnée civilement et pénalement (article 109).
Le roi en tant que garant de l'indépendance de la justice assure la
présidence du conseil supérieur du pouvoir judiciaire qui nomme les juges
avant confirmation par dahir. L'inamovibilité des magistrats du siège participe
de l'indépendance de la justice dont l'une des garanties majeures tient dans
l'institution, en remplacement de l'ancien conseil supérieur de la magistrature,
d'un CSPJ dont la composition est moins corporatiste et donc plus ouverte et
dont les attributions sont plus renforcées et élargies.
II- La suprématie de la constitution
Elle ne peut être assurée que par la présence d'une véritable justice
constitutionnelle qui postule le magistère du droit et du juge aux fins de
contrôler le pouvoir et de construire l'Etat au bénéfice du citoyen par le moyen
d'un droit processuel à même de garantir la démocratie et les droits
fondamentaux.
Au Maroc, le contrôle de constitutionnalité était confié à la chambre
constitutionnelle près la cour suprême. Depuis les révisions de la constitution
de 1992 et 1996, a été adopté le système standard de la juridiction
constitutionnelle indépendante: le conseil constitutionnel devenu avec le texte
de 2011, "cour constitutionnelle" et dont le rôle dans un contexte de transition
démocratique est "non seulement de contrôler la conformité des actes
juridiques à la constitution, mais aussi de formuler la nouvelle conception du
droit fondé sur la constitution".
La restauration d'une justice constitutionnelle est en soi une révolution
juridique où l'être humain "sacralisé" est élevé au rang de "citoyen" dotés de
droits et libertés indispensables à son libre développement et au plein
épanouissement de sa personnalité.
Qu’il s'agisse du contentieux normatif ou de la démocratie et de surcroit
des droits fondamentaux, la tache de la cour constitutionnelle est ardue,
complexe et nécessite compétence, conscience élevée des responsabilités,
audace. La composition, le mode de saisine sont aussi déterminants. Sur ces
questions, la constitution marocaine a à quelques nuances près, transposé le
modèle français de 2008: contrôle par voie d'action, saisine ouverte selon
diverses proportions à l'opposition, et exception d'inconstitutionnalité à la
faveur d'une saisine individuelle de la cour constitutionnelle par l'introduction
d'une question préjudicielle de constitutionnalité (Q.P.C).
Conclusion
Avec le processus constitutionnel, les standards démocratiques fondateurs de
l’ordre libéral et de l’Etat de droit sont remis à l’ordre du jour de la réforme
politique globale initiée par le discours royal du 9 mars 2011. Ce contexte
annonciateur de autant de ruptures que d’ouvertures traduit un incontestable
regain démocratique par la renaissance du constitutionnalisme.
Depuis le referendum de ratification populaire du 1er Juillet 2011,la constitution
marocaine est mise à l’épreuve de son application , de son respect et de son
effectivité dans un contexte régional, voire mondial où la société s’insurge
contre l’Etat ,et la rue se révolte contre les institutions .Les systèmes politiques
sont interpellés sur divers plans :le degré de légitimité des leaderships ,la
capacité des institutions publiques à réguler les demandes sociales distribuer
les richesses ,canaliser les mécontentements ,administrer l’ordre et les libertés,
assurer la justice ,préserver la dignité humaine .
Le débat replace la dialectique «constitution et standards démocratiques » eu
égard à l’enjeu de sens que les valeurs ou concepts autonomisés recèlent.
La constitution, norme et système signifie l’ordre social désiré .Quand bien
même
demeure-t-elle un «projet inachevé »un idéal-type, son effectivité dépend de
sa force de résilience face aux résistances sociopolitiques qui peuvent la
réduire à un « décorum »ou à l’inverse en affirmer « l’impérium ».
Les standards démocratiques constituent les déterminismes universels de l’Etat
moderne.
Pour autant qu’il existe le standard est un concept indéterminé ayant trait eux
valeurs fondamentales de la société ayant pour objet l’analyse des
comportements des acteurs juridico-politiques par référence à un type moyen
de conduite.
Les standards peuvent être prescriptifs (indiquent ce qui devrait être)
descriptifs (indiquent ce qui est) ou substantiels (se réfèrent à une matière
essentielle et constante impliquant des attitudes et des comportements
déterminés).
La variabilité du standard ne peut qu’influer sur ses fonctions ou
représentations : normalité, conformité ou mimétisme.
Enfin, le propre de la mondialisation tentaculaire étant de favoriser la légitimité
du temps réel a affecté la démocratie comme procédure et culture, favorisant
la première et laissant entière la question de la seconde.
Cette thèse met en lumière les conséquences négatives sur
la « démocratie standardisée ».
En effet, avec la mondialisation, la démocratie devient exigible
immédiatement. Cette immédiateté est entre tenue par les pays occidentaux
qui conditionnent de plus en plus leur programme d’assistance au respect des
règles démocratiques est devenue une modalité importante de la régulation
des rapports mondiaux.
En tout cas, l’universel voile le spécifique et le procédural relègue le culturel
d’où une approche minimaliste de la démocratie réduite au bréviaire des
« élections libres »ou du pluripartisme. Il reste cependant que la démocratie
n’est pas seulement une technique garantissant une alternance potentielle par
le biais des élections .Mais toute une série de pratiques institutionnelles ou non
institutionnelles capable de garantir la représentation équitable des intérêts et
leur expression en dehors des élections. « Autant la démocratie comme
procédure doit reposer sur l’incertitude de perdre le pouvoir ou de le gagner,
autant la démocratie comme culture doit garantir la prévisibilité et l’équité du
contexte dans lequel la compétition aura lieu » .
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